
L'idéal - Baudelaire
Les Fleurs du Mal [section Spleen et Idéal] (1857)
L'IDEAL
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans,
Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans
(Re)Publié en 1857, Les Fleurs du Mal est un recueil de poèmes composé par Charles Baudelaire. A travers ce « parcours de l’âme », le poète explore divers thèmes tels que l’exotisme, la mélancolie, l’atrocité, l’horreur… en confrontant le beau, « l’idéal », au mal, le « spleen ». L’ouvrage a immédiatement été censuré en raison de son anticonformisme qui allait à l’encontre des mœurs de l’époque et de la bourgeoisie (de plus, il s'intitulait Les Lesbiennes).
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Ainsi, le poème choisi se situe dans la section « Spleen & Idéal », et reflète parfaitement l’anticonformisme de Baudelaire concernant les critères de beauté. Il utilise des valeurs qui sont opposées à travers une sorte d’antithèse des normes de beauté de la société. On le voit dès les premiers vers lorsque compare « ces beautés de vignette » en faisant donc référence à ce que la société considère de beau, à des « produits avariés ». Plus loin, il les compare à des « beautés d’hôpital » qui sont « fades ». On comprend à travers ces diverses métaphores qu’aux yeux du poète, la beauté prônée par la société est dépassée, fade, presque cadavérique. A ses yeux, la vraie beauté n’est pas fade mais « rouge », « puissante » et « étrange ». D'une certaine manière, le poète esthétise ce qui ne devrait pas, et fait du laid quelque chose de beau (on peut d’ailleurs retrouver cette volonté dans un autre poème des Fleurs du Mal : La Charogne).
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En seulement 4 strophes, Baudelaire parvient remarquablement à transmettre l'une des idées principales de son oeuvre, à savoir renverser les normes avec de nouveaux critères, de nouvelles approches de ce qu'est l'idéal. On peut d'ailleurs faire un parallèle avec le poète lui-même qui a renversé le courant du romantisme en abordant de nouveau thèmes jusqu'alors inexplorés.